Synonyme de beauté : La COMTESSE DE CASTIGLIONE

Après le Musée d’Orsay (1999) et le Metropolitan Museum of art de New York (La divine comtesse, 2000) c’est à la galerie Baudoin Lebon (associée à la Galerie Beaubourg) qu’il revient de célébrer « la revanche de la Castiglione » (1837-1899) jusqu’au 23 janvier. Si ses frasques amoureuses ont éludé l’importance de son projet photographique aux yeux de plusieurs de ses contemporains, la valeur prophétique de ses portraits révèle à présent la pertinence de son « Je » artistique. C’est dans ses plus beaux atours qu’elle se découvre peu à peu sous les « voiles » photographiques de Pierre Louis Pierson, pendant plus de quarante ans. Contemplant ces tableaux vivants, on y voit alors moins la courtisane italienne - maîtresse de Napoléon III - que la femme captive d’une image où l’être et les angoisses métaphysiques affleurent au contact du paraître. Bien que la personnalité de la comtesse suscite encore des réactions contrastées - entre panégyrique et critique acerbe de sa « vanité » – la valeur artistique de ces portraits semble maintenant faire l’unanimité.

Dès l’incipit de son roman « L’Exposition » (2008), Nathalie Léger ancre le décor bourgeois et les coulisses du spectacle intimiste auquel se prête la comtesse de Castiglione dès 1856 : « La voyant paraître, la princesse de Metternich confiait : « Je suis pétrifiée devant ce miracle de beauté : En un mot, Vénus descendue de l’Olympe ! » Dans sa férocité, - poursuit la narratrice en 2008 - elle se pose sur un sofa et se laisse admirer comme une châsse, absente au milieu de la foule, le regard froid, impassible. On la hait de tant de puissance ». Soit deux attitudes bien campées entre magnétisme et hostilité.

Aby Warburg a beau insister sur la stratégie sociale et politique de tout portrait, c’est probablement à une autre invite que nous convie la galerie Baudoin Lebon avec la succession des poses de la Castiglione, parfois alanguies mais toujours altières. A moins que la mélancolie qui s’empare progressivement d’elle ne soit le reflet de son enfermement social au sein d’une image ? Les attitudes et les parures de la comtesse sont soigneusement pensées. Dans ses mises en scène qui semblent impossibles tant chaque épreuve nécessite de longues heures de pose, c’est « le modèle » qui modèle, semble-t-il, sa propre image. Portraitiste de la noblesse du second empire, Pierre Louis Pierson serait-il devenu un auxiliaire, troquant son rôle d’opérateur contre celui - passif - de miroir, orientant son objectif en fonction des désirs de sa commanditaire ?

Incarnation, dit-on, de « la plus belle femme du 19ème siècle », Virginia Elisabetta Luisa Carlotta Antonietta Teresa Maria Oldoïni (de son vrai nom) fut aussi la plus photographiée. En quelle proportion ? Montesquiou - à lui seul - possédait plus de 400 épreuves de son adulée. « Je n’oublierai jamais l’émotion qui s’empara de moi (écrit-il) le jour où j’ai appris qu’une femme vivait derrière les persiennes constamment closes d’une certaine encoignure de la place Vendôme et que cette femme était celle dont le nom était devenu synonyme de beauté. » Ayant cru détruire tous les miroirs, la comtesse de Castiglione ne sortait plus le jour. Elle n’a pourtant jamais cessé de s’adonner à son complice le plus fidèle : l’appareil photographique.

Du roman d’Emile Zola (« son Excellence Eugène Rougon », 1876) jusqu’aux analyses les plus récentes, menées à rebours de photographes contemporaines, en passant par l’énigmatique court-métrage de David Lodge (1998), la comtesse de Castiglione inspire encore quantité de « réflexions ». Par ailleurs, pourquoi ne pas envisager les traces d’une filiation possible avec les photographies – en couleurs - de Madame Yevonde (1893-1975) qui offre par exemple à ses amies d’incarner, à travers différentes figures mythologiques, autant d’expressions de leur Moi profond ? Mais les clichés de la Castiglione opposent à cette appréhension ludique de l’apparence le tragique d’une disparition annoncée. La sobriété de l’accrochage ne trahit pas l’objet de cette fascination narcissique. Au contraire, la présentation soignée sert au mieux ce projet face à l’inéluctable, atténuant en partie la déception quant à l’absence de certaines photos emblématiques de la Castiglione. Ainsi, de ses jeux avec le cadre à l’intérieur de l’image… Sans doute trouvera-t-on quelque compensation de la voir scruter le reflet inquiet du miroir qu’elle se tend à elle-même comme un piège – terminant l’exposition « en beauté ».

Illustration : P. L Pierson, La comtesse de Castiglione, 1861-1867, Courtesy galerie Baudoin Lebon.Détail