Radical Nature V (In)Habitable

Regain d’intérêt dans le monde de l’art sur l’idée de nature. Non que cette préoccupation soit nouvelle, mais les enjeux sont différents. Face à la montée des problèmes écologiques et l’apparition des nouvelles sciences, cette dernière prend une toute autre tournure. C’est ce que proposent d’interroger simultanément, et encore pour deux semaines, l’exposition parisienne (In)habitable ? l’art des environnements extrêmes dans le cadre du festival @rt outsiders à la Maison Européenne de la photographie* et le show londonien Radical Nature : Art and Architecture for a Changing Planet 1969-2009 à la Barbican Art Gallery**. Les deux évènements, afin de répondre à cette problématique environnementale, font appel aux nombreux médiums, allant de la photographie au film en passant par l’installation sonore ou la performance.

Dans cette multitude artistique, les britanniques sont dignement représentés; sont-ils davantage sensibles à ce sujet de part leur lourd passé industriel ou sont-ils simplement mieux connus et représentés sur la scène artistique contemporaine ? En outre, l’artiste Simon Starling, lauréat du Turner Prize en 2005, qui expose son installation – recréation d’un microcosme végétal- Island for weeds (2003) à la Barbican, et faisant référence à l’importation, avérée néfaste et nuisible sur la flore, du rhododendron en Ecosse au 18ème siècle, est aussi présenté en ce moment au Mac Val. Sous le titre Thereherethenthere***, le musée d’art contemporain du Val de Marne fait un retour sur la très jeune carrière de cet artiste anglais qui, depuis presque dix ans, se concentre sur les questions de recyclage, de transformation et d’hybridation.

Radical Nature, qui se tient depuis le début de l’été, se propose de montrer les différentes formes d’expressions artistiques de ces quarante dernières années face à une planète en constante évolution. L’exposition s’applique à regrouper les artistes clef du Land art, de l’activisme environnementaliste et de l’architecture expérimentale et utopiste avec la nouvelle génération représentée, entre autre, par Anya Gallaccio L’effet est un peu brouillon, les œuvres de qualité hétérogène et les critiques n’ont pas été unanimement élogieuses mais Radical Nature –moins radicale que son titre le laisse présager- permet de découvrir ou revoir et surtout repenser l’impact de créations telles que la Spiral Jetty de Robert Smithon (1970) ou les performances écologiques de Joseph Beuys au travers de vidéos.

L’architecture du Barbican de prête parfaitement à cet exercice et, force est de constater que l’installation d’œuvres sur les terrasses, annihilant la séparation intérieur/extérieur, sauvage/artificielle est une réussite. Mais ce qui dérange est qu’aucune distinction de pensées et de théories de la nature et du paysage n’a été faite sur ces quarante dernières années. Les 25 artistes représentés peuvent apparaître comme tous issus de la même idéologie, comme si la nature et les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui n’avaient pas évolués. A contre-pied, (In)Habitable ? : l’art des environnements extrêmes, se veut incisive. Elle s’applique à porter un regard nouveau sur les artistes actuels qui s’interrogent sur la signification d’habiter des lieux extrêmes. Les commissaires, Annick Bureaud et Jean-Luc Soret, expliquent en introduction : «  depuis le milieu du 20ème siècle, grâce à –ou à cause- d’un ensemble de technologies, elle (l’espèce humaine) rend « habitables » des environnements jusqu’à présent « hors limites », elle transforme en extrême, par ses actions et modes de vie, des lieux qui ne l’étaient pas, non seulement pour elle-même mais aussi pour d’autres espèces.» (cat. expo. p.2). Les artistes exposés ne sont nullement désireux de revenir à une nature originelle, comme a pu le souhaiter le mouvement hippy, mais tentent de façon poétique, utopiste ou humoristique de l’explorer, de se la réapproprier.

Kin Levin, dans le catalogue Trans’Plant : living vegetation in contemporary art (Hatje Catz Publishers, 2000) explique que la nature est de nos jours utilisée non plus uniquement pour des raisons écologiques mais comme un matériau reflétant les problèmes existentiels et psychologiques de la société. Face à l’inconnu et la terreur des nouvelles sciences et technologies, face à cette nature qui, à force d’avoir été manipulée, devient incontrôlable, les artistes soulèvent de nouvelles problématiques. « Artists using plants today have little in common except they share the crucial anxieties of our time » declare t-il. C’est cette notion de beauté mêlée au dangereux, de retour à la décadence que met en scène Peter Cusack avec son installation sonore et photographique Sounds from Dangerous Places, Chernobyl, 2006-2009. En 2006 et 2007, Cusack se rend plusieurs fois à Chernobyl pour enregistrer les sons de cet endroit catastrophé et faire des clichés des autochtones et du paysage. Visiblement, la nature reprend son cours et efface les traces du sinistre ; mais cette nature est effrayante, trop verte, trop saine alors que le sol est irradié. Malgré la catastrophe nucléaire causée par l’homme, notre hégémonie est mise à mal par quelques herbes qui repoussent incessamment. La toxicité jumelée à la beauté actuelle des lieux - ou plutôt la beauté produite par l’idée de dangerosité - nous attire.

Elle rappelle les désirables Infectious Flowers de Mat Collishaw, photographies d’orchidées majestueusement sexuées dans lesquelles ont été injectées digitalement des maladies infectieuses. Plus nostalgique sont les trois tirages de l’artiste chinois Yang Yi. Né à Kaixian - ville tristement connue pour avoir été entièrement ensevelie sous les eaux du fleuve Yangtzé en raison du barrage des Trois Gorges - l’artiste, dans l’urgence, prend les dernières clichés des quelques habitants restants dans une ville fantôme en ruine. Les personnages armés de masques et de tubas se tiennent face à nous, droit, les bras croisés sur le buste, comme attendant l’explosion. Ils nous fixent d’un regard embué de fatalité et, nous retenons notre respiration. Seules les quelques bulles d’air, légères et joyeuses sortent le spectateur de son apnée. La vie continuera malgré tout. Mais ce travail photographique de mémoire est poignant. Pour l’illustrer, les mots de l’artistes semblent les plus appropriés (cat.ex. p.29):

En 2007, la vieille ville était déjà remplie d’une atmosphère de mort. J’ai déclenché mon appareil photo en retenant mon souffle. Et j’ai eu envie de m’enfuir. En 2006, première fois que j’utilisais mon appareil, je n’ai eu qu’une hâte : photographier mon pays natal. En 1994, le gouvernement chinois annonçait le démarrage officiel des opérations du Barrage des Trois Gorges. En 1993, j’ai quitté mon pays natal pour vivre ailleurs. (…) Il y a trente-sept ans, c’est ici que je suis né. Un jour je me suis réveillé et tout était sous l’eau…





  • (In) Habitable: l’art des environnements extrêmes, Festival @rt outsiders, 9 septembre – 11 octobre 2009, Maison Européenne de la photographie, www . art-outsiders . com.
    • Radical Nature: Art and Architecture for a Changing Planet, 19 juin – 18 octobre 2009, Barbican Art Gallery.
      • Simon Starling « Thereherethenthere », 18 septembre – 27 décembre 2009, Musée d’art contemporain du Val de Marne.

Illustration : Peter Cusack - Sounds from Dangerous Places, Svetlana Tsaklo, Chernobyl ( Son de lieux dangereux, Tchernobyl ) 2006-2009 Installation sonore et visuelle, version originale pour @rt Outsiders 2009