Le réveil de la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine

 

Les architectes en chef des monuments historiques, les historiens de l’architecture et les historiens de la photographie ou bien encore les archéologues connaissent l’importance des ressources de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine installée, il y a quelques mois encore, sur le site des hôtels de Vigny et de Croisilles à Paris. A la suite d’un amendement parlementaire, le ministère de l’Économie et des Finances a procédé à la vente des bâtiments et entraîné le déménagement de l’institution à la fin de l’année 2008 sur le site de l’ancien séminaire de Conflans à Charenton-le-Pont (1). Quel est le sens, autre que comptable, d’un tel mouvement ? La configuration finale de ce que le ministère de la Culture et de la Communication nomme provisoirement « Centre de la photographie et de la documentation patrimoniale »(2) sera dévoilée fin 2010. La mise en avant de l’archive photographique dans un tel intitulé résonne comme une promesse pour les spécialistes de ce médium, mais ce projet peut-il tenir lieu d’une politique photographique ?

L’architecte lauréat opérera les aménagements nécessaires à l’optimisation du site en matière de conservation et d’ouverture au public, soit 6000 m2 utiles. Mais d’ores et déjà, les services sont installés et ont ouvert au public (3). Il semble donc nécessaire de présenter les ambitions d’un grand outil patrimonial et culturel de notre pays.

L’implantation sur le site de Charenton-le-Pont tourne la page d’une centralisation des archives dans un hôtel prestigieux du Marais, mais il permet aussi de rapprocher la médiathèque de ses archives photographiques conservées sur le site du fort de Saint-Cyr à Montigny-le-Bretonneux. Cette nouvelle situation peut sembler s’inscrire dans un mouvement général de « délocalisation » des services, mais elle doit être nuancée au regard de la réalité du lieu. Aisément accessible par les transports en commun, jusqu’alors occupé par l’école d’architecture Val de Seine, le bâtiment présente des installations tel que des amphithéâtres et de grandes salles qui permettront d’ouvrir le lieu à l’étude et à la présentation des documents au public. Ajoutons, et la chose est d‘importance, que l’ancien séminaire ne manque pas de charme avec une large cour et une façade néo-classique, les marques encore présentes de l’activité religieuse, une chapelle néo-gothique. L’ensemble des bâtiments conventuels des XVIIIe et XIXe siècle sont entourés d’un parc d’environ un hectare acquis et aménagé par la ville de Charenton. La contrainte de ce déménagement, qui ne s’est pas fait sans hâte, s’est transformée en une opportunité pour la Médiathèque qui opère ici une véritable mue sous le signe de la valorisation des archives. Outre l’accès à des surfaces qui permettent un redéploiement des fonds - le site parisien était saturé - un accès modernisé pour le public et l’accueil d’autres institutions qui en complète la dynamique - ICOMOS, ICOM, Donation Jacques-Henri Lartigue, Société française d’archéologie, etc. -, les services sont organisés autour de quatre départements. Les archives et documentation, la bibliothèque, le département de la photographique et le centre de recherche sur les monuments historiques voient leurs missions repensées en direction des publics et des services.

On sait l’importance de ces instruments documentaires à l’heure où le monopole des architectes en chef des Monuments historiques s’achève, et où sont restitués aux propriétaires les monuments classés. Les maîtres d’ouvrage et maîtres d’oeuvres auront besoin de ses ressources pour mener à bien leurs entreprises de restauration. De la même manière, l’archéologie trouve là un centre de ressources où les rapports de fouille sont conservés à l’échelon national. Ces compétences ne sont pas nouvelles, mais l’esprit du projet dirigé depuis son origine par Manuel Bamberger les font évoluer. Fort de son expérience d’ancien secrétaire général à la Direction de l’Architecture et du Patrimoine - à la tutelle de laquelle est soumise la médiathèque rappelons-le – et désormais rattaché au directeur de l’architecture et du patrimoine mais aussi au secrétaire général du ministère, le directeur prend appui sur un conseil d’orientation scientifique et culturel, et vise à mener une réforme de l’intérieur. Confiant aux services de la médiathèque la tâche de repenser leurs missions, à partir de leurs compétences scientifiques et techniques, ces derniers s’orientent vers les publics. Au même titre que le CRMH, les autres départements se tournent vers les écoles d’architecture, l’université et les scolaires. De même, la convention passée avec la Réunion des musées nationaux assurera une commercialisation des fonds photographiques trop peu connus, alors qu’ils représentent une « masse » qui situe la médiathèque au niveau de la Bibliothèque nationale de France.

La photographie est un aspect original de cette institution, non seulement en raison du nombre, mais aussi de la spécificité des techniques : la médiathèque constitue le seul établissement français dédié à la conservation des négatifs et spécialisé dans les plaques de verre, mais aussi aux supports les plus récents que constitue l’imagerie numérique. Nouveau site, meilleure articulation avec le sanctuaire photographique de Saint-Cyr : la question de la modernisation de la médiathèque ne ferait que suivre le sens de l’Histoire si l’on ne s’arrêtait pas sur la petite révolution qui s’effectue dans le domaine des archives photographiques à cette occasion. Pour le comprendre, il faut observer le changement profond de situation qui s’opère à l’échelle d’une génération sur la question de la gestion par l’État des archives photographiques et notamment des donations.

L’évolution de la médiathèque a été l’occasion pour le ministère de la Culture et de la Communication de surmonter une polémique qui avait éclaté en 2004. Elle concernait les photographes donateurs et leurs ayants droits qui ont vécu comme une trahison l’abandon des missions de l’association Patrimoine photographique piloté par le ministère et à laquelle les fonds avaient été versés depuis le début des années 1980. Après la fusion de cette institution avec le Centre national de la photographie et la Galerie nationale du Jeu-de-Paume en une entité intitulée, aujourd’hui encore, Association de Préfiguration de l’Établissement public Jeu-de- Paume, les fonds sont transférés à la Médiathèque sur le site du fort de Saint-Cyr. Considéré par l’Association de défense des donateurs et ayants droit de l’ex-Patrimoine photographique - A.D.I.D.A.E.P.P. - comme un abandon des engagements de l’État à conserver et valoriser ces donations, critiquant vivement les conditions de conservation des images, la situation est restée longtemps bloquée. Elle s’était même envenimée, allant jusqu’à un référé, lorsque le Ministère de la Culture et de la Communication eut confié la diffusion commerciale des donations à la Réunion des Musées Nationaux sans que les donateurs et ayants droits en soient avertis. Il aura donc fallu recréer le dialogue entre les responsables du projet de Charenton et l’A.D.I.D.A.E.P.P. La reprise de ce dossier et la restauration de la confiance des donateurs conduisent aujourd’hui à la fin d’un contentieux et à la possibilité de repenser l’intégralité d’une politique photographique pour le ministère. Une page de l’histoire récente des rapports entre l’État et la photographie semble ainsi se tourner. Car derrière la polémique, il s’agit bien de traiter l’archive photographique autrement qu’à l’époque où l’association Patrimoine photographique accueillait sans véritable visée scientifique des donations d’envergure.

Le pari est donc ambitieux, au regard du nombre de projets abandonnés dans le domaine de la photographie et à ce qui, ces dernières années, s’est plutôt présenté comme un plan social par la fusion d’institutions et associations existantes que comme un projet culturel en faveur de la photographie. Les signes sont néanmoins encourageants: l’équipe dirigée par Jean-Daniel Pariset s’est étoffée d’un conservateur en la personne de Marie Robert. Mais surtout la parole de l’État semble retrouver du crédit en matière de donation, dans un contexte où les ayants droits se tournent désormais vers le marché de l’art pour monnayer leurs successions photographiques. Pour preuve de cette confiance retrouvée, l’arrivée de donations de grands photographes est programmée. Autre signe fort, la présence de partenaires comme l’École nationale supérieure de la photographie et la Cité de l'architecture et du patrimoine donnera tout son sens à une politique de formation. Enfin, une convention à l'étude avec la Bibliothèque nationale de France permettrait d'accueillir les négatifs du Département des estampes et de la photographie sur le site spécialisé de Saint-Cyr. À ce rythme, et avec la mise en place d’une synergie des sites de conservation et de valorisation, la nouvelle médiathèque deviendra peut-être demain le lieu emblématique des archives photographiques en France et de leur valorisation, grâce notamment à la mise en place déjà bien amorcée de ressources en ligne. L’orientation générale vers une ouverture au monde de la culture et de la recherche donne à la Médiathèque du patrimoine installée à Charenton-le-Pont une place qui l’inscrit dans le concert des grandes institutions. Sa compétence nationale n’avait jusqu’alors d’équivalent que sa discrétion. Il semble qu’elle soit désormais un enjeu fort de la politique culturelle des années 2010 où la photographie joue un rôle d’éclaireur. Ce qui apparaît donc comme le maillon fort de ce grand projet est aussi ce qui le rend le plus délicat : la photographie a toujours entretenu avec le pouvoir un rapport ambivalent, car elle a été tour à tour considérée comme un nouveau trésor ou un vaste ensemble documentaire difficile à gérer. Les millions de plaques de verre conservées à Saint-Cyr (dont le fonds de l’atelier Nadar) seront-elles le gisement précieux qui alimentera le beau site de Charenton- le-Pont ? Ou resteront-elles une Belle au bois dormant ? C’est en bonne part sur ce réveil en douceur que sera jugée la mue de la médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

1. Le produit de la vente des hôtels de Vigny et Croisilles se monte à 26 millions d’euros. Le ministère a délégué 3,5 millions à la première phase du déménagement et aux travaux de la phase provisoire de la nouvelle médiathèque. La somme de 13 millions d’euros est allouée à l’ensemble du projet par France domaine, à noter que les équipements de conservation d’un montant de 6 millions d’euros sont pris en charge par le ministère de la Culture et de la Communication. 2. Communiqué de presse du 19 décembre 2008 du ministère de la Culture et de la Communication. 3. Rappelons que les ressources documentaires de la direction de l’Architecture et du Patrimoine concernent principalement les édifices classés au titre des Monuments historiques, elle se présente aussi bien sous la forme de plans (100 000), d’archives, d’objets (600 000) d’ouvrages (40 000 titres) et de périodiques (300 titres vivants) que de photographies (dont 1000 000 de tirages). S’y ajoutent des archives photographiques de négatifs (1500 000) - dont une part se présente sous forme de plaques de verre ainsi que des fonds d’ateliers professionnels (Nadar, Seeberger, Harcourt, etc.) et des donations.

Editorial paru dans la REVUE DE L’ART, n° 164/2009-6. Illustration : MP