« ANIMA(L) »


Olivier Richon. "Portrait of a monkey with books", 2008
C-print
Courtesy Galerie Bendana-Pinel

L’exposition d’une dizaine de photographies d’Olivier Richon à la galerie Bendana-Pinel réactualise la querelle philosophique du XVIIème siècle connue sous le vocable de « querelle des bêtes ». L’animal est-il doué de raison ou au contraire est-il une ‘machine’ comme le prône la théorie cartésienne ? Sans apporter aucune réponse, Olivier Richon s’interroge simultanément sur le vol de l’âme par l’appareil photographique transformant alors l’être en objet. Lorsqu’il capte l’image de l’animal, le réduit-il ainsi à un sujet inanimé, le transforme t-il comme il aime à le dire en une ‘sculpture’?

Questionnement similaire à sa contemporaine Karen Knorr. L’esthétisme, l’introduction d’animaux dans des lieux usuellement réservés aux humains, le dialogue entre la nature et la culture, le sauvage et le civilisé sont également communs à ces deux artistes aujourd’hui installés à Londres. L'oeuvre d'Olivier Richon a incessamment été cité comme un pendant à celui de Karen Knorr sans jamais bénéficier d’une véritable analyse. Tous deux ont été à la fin des années 70 influencés par les théories de Victor Burgin sur l'association texte-image qui enseignait alors à la Polytechnic of Central London. C’est encore Burgin, parmi d’autres, qui transmet en Angleterre la pensée philosophique française comme celle de Barthes ou de la psychanalyse. En 1982, forts de leur enseignement, Olivier Richon et Karen Knorr prennent part à l’exposition collective Phototextes aux Musées d’Art et d’Histoire de Genève. Depuis lors, leurs œuvres sont intimement liés ; détournant rapidement leur regard de la représentation humaine pour le diriger vers les animaux, les espaces architecturés, les paysages. Leurs premiers travaux respectifs sont des allégories. Les animaux, empaillés, sont sortis de leur milieu naturel pour être réintroduits dans un musée, une école, un studio et deviennent, ce qu’ils ont souvent été dans la tradition picturale, des symboles, des « animaux signifiants » (1). Dorian Leader dans le catalogue Allegories avance que les « animaux qui hantent le travail d’Olivier Richon semblent tous déplacés : un singe contemplant une peinture classique, un calamar sur du velours, et dans les travaux les plus récents, des animaux sauvages dans la campagne anglaise et des animaux de basse-cour dans une école des Beaux Arts (...). Que signifie pour un animal être déplacé ? » s’interroge t-il. Les clichés de cochons, poules et lapins au sein de l’école des Beaux Arts de Valenciennes présentés dans la galerie troublent notre perception de la faune. Sous le titre d’ Animals Looking Sideways(2), cette série montre ces animaux dirigeant leur regard vers des zones de l’architecture qui nous paraissent incongrues. Les cochons, à l’angle de la porte, regardent en diagonale le mur qui leur fait face, les poules et lapins vaquent à leurs occupations sans porter attention à la bibliothèque ou à la niche dans laquelle ils sont placés. Alors que nous portons notre regard sur les lignes de fuite, les sorties ou autre objet architecturaux, les animaux regardent dans le vide, sans se soucier les uns des autres. Pourquoi alors les placer dans une institution gardienne des arts et de la culture ? Ne seraient-ils pas des clins d’œil humoristiques à notre attitude face aux œuvres ? En prenant notre place, ils incarnent notre ignorance refoulée vis-à-vis de l’art. En outre, ils ne semblent affectés d’aucune inhibition, ils continuent de manger, d’explorer les lieux. En déplaçant l’animal, Olivier Richon, grossit les traits d’une société qui se force à respecter des codes d’observation, de Beauté, les règles du musée. « Il nous montre, peut être, comment un animal déplacé peut engendrer un spectateur encore plus déplacé » (3). Cela n’est pas sans rappeler la série Visitors, première partie des Academies de Keren Knorr prise en 1995 au Musée D’Orsay. L’artiste avait alors décidé d’installer des singes empaillés au milieu des sculptures du musées. Dans les grandes salles vides les primates touchent, montent sur les œuvres, transgressent en somme les lois humaines de bonne conduite. La séparation entre culture et nature est mise à mal, pire encore, les animaux nous donnent des leçons de vie. Puis l’animal, dans les derniers clichés d’Olivier Richon, prend exponentiellement la place de l’homme. Il n’est plus uniquement une citation. Placé vivant dans un studio épuré, il n’incarne plus la représentation de notre relation aux lieux. Il pose hors du temps et, au contraire des modèles de studio, ne nous regarde pas, ignore la présence du photographe. Ils s’approprient petit à petit les symboles humains, comme dans les peintures où les hommes sont représentés avec les objets qualifiants leur statut. Un chien noir boit dans un verre, un oignon et un chapeau melon posés à ses côtés, un lévrier pose sans fierté de profil campé sur une serviette de velours jaune, une grappe de raisins à ses pattes, deux singes se font face, l’un représentant la culture avec des livres l’autre, la nature avec des baies, un perroquet encore trône majestueusement sur son perchoir. Chacun semble à son aise, vacant à ses occupations comme les chiens de William Wegman tantôt habillés ou couvert d’un chapeau, tantôt installés sous les couvertures du lit. En s’intéressant plus particulièrement à l’animal et non à sa symbolique, Richon renforce de ce fait la comparaison avec l’homme et notre malaise à les voir, nous voir, agir de la sorte. Il travaille de nouveau la notion de regard et se pose une fois de plus la question de l’âme et plus généralement de la liberté. L’animal, qui n’essaie jamais de projeter une image de lui-même, ne serait-il pas alors pourvu d’une plus grande liberté ? Il n’est aucunement une représentation, il est. Et comme toutes les œuvres dans lesquelles l’animal prend la place de l’homme, l’humour ou plutôt l’ironie face à notre condition adoucit la critique, nous rions de bon cœur de voir vaches, poules, cochons s’installer insolemment dans nos intérieurs. Nous nous amusons de l’incongruité de leur présence. Ils sont un clin d’œil malicieux à notre condition humaine.


(1)LEADER Dorian, RICHON Olivier, Allegories : Olivier Richon, London, Editions de l’Aquarium Agnostique, 2000, p.44.
(2) Animals Looking Sideways, with chickens – with pigs – with rabbits (2000).
(3) LEADER Dorian, RICHON Olivier, ibid.

Olivier Richon , «ANIMA(L)». Galerie Bendana-Pinel. 4, rue Perche – 75003 Paris Jusqu’au 24 décembre.