Compte-rendu de la journée d’études "Pratiques artistiques et photojournalisme"

image La journée d’études consacrée au thème "Pratiques artistiques et photojournalisme" qui s’est tenue à la Maison Rouge le 9 janvier dernier a fait salle comble. Les auditeurs ont pu entendre des interventions variées, mêlant histoire de l’art, théorie, critique et points de vue d’artistes.

Philippe Dagen a inauguré la journée en se concentrant sur l’Afghanistan et la production d’images liée à ce pays. Comparant les photographies panoramiques de Luc Delahaye exposées à la Maison Rouge avec celles produites alors qu’il n’était encore que photoreporter, Dagen a posé la question suivante: le passage au grand format et le refus de la lisibilité historique, appelant la réminiscence picturale, suffisent-ils à assurer un statut d’œuvres d’art aux images ?

Le photographe Gilles Saussier, accompagné de l’historienne de l’art Emmanuelle Chérel, a présenté l’évolution de sa pratique et son retour à Timisoara. Se positionnant face aux images de presse qu’il a produites au moment du "vrai-faux" charnier, Saussier est retourné sur les lieux et réalisé une série d’images aujourd’hui exposée à la galerie Zürcher.

image En s’appuyant sur l’ouvrage Kriegsfibel de Bertolt Brecht publié en 1955, associant quatrains et photographies de presse découpées, Michel Poivert a montré comment l’auteur avait transposé les principes du théâtre épique au livre d’images, et présenté là un exemple méconnu d’une pratique artistique se confrontant à la question du photojournalisme. Après avoir rappelé la position de Roland Barthes sur les photo-chocs et celle de Susan Sontag sur le mutisme des images face aux mots, Poivert a évoqué les travaux de Gilles Saussier et d’Alexis Cordesse comme possibilité artistique pour le rétablissement de la vérité et comme opportunité pour les photographies de parler d’elles-mêmes.

À partir de son travail de commissaire du Mois de la Photo à Montréal en 2003, Vincent Lavoie a présenté de nombreuses images montrant qu’il ne peut y avoir de représentations artistiques de l’événement sans prise en compte de l’héritage du photojournalisme. Il a notamment insisté sur le problème de la reconstitution historique et montré que les images d’artistes constituaient une sorte de "stoppage" médiatique.

Pascal Convert a évoqué son travail de sculpteur, réalisé à partir de trois images de presse devenues des icônes. Insistant sur l’importance de la question de la famille dans son œuvre, il a présenté la photographie à partir de laquelle il entend travailler par la suite.

Enfin, Georges Didi-Huberman a conclu cette journée en s’appuyant sur les œuvres de Convert: la multiplicité des références historiques suppose qu’une image implique une durée au-delà du temps qu’elle représente. Didi-Huberman a montré que si l’événement était une histoire de courte durée, la sculpture offrait à l’image une sorte de devenir-œuvre, un relief supplémentaire et une densité qui les faisaient fonctionner ensemble.

Après quelques questions du public, la journée s’est achevée autour d’un verre de vin.

A lire également sur ce blog:
Programme de la journée d'études "Pratiques artistiques et photojournalisme", 27 novembre 2005.

Commentaires

1. Le mercredi 18 janvier 2006, 15:30 par Catherine Harmant

Je n'ai pu assister à la conférence le matin. Je suis donc arrivée pour entendre Vincent Lavoie (1). A t-il parlé de stoppage médiatique? Je n’ai pas entendu ce mot, mais il me paraît juste si l’on en décrypte le sens. Le stoppage médiatique est le procédé de reconstitution photographique d’un événement afin que celui-ci soit photographié avec plus de « grandeur », parce que la photo initiale de l'événement, celle de l'instant, la « vraie » n'est pas assez bonne. Pas à la hauteur de l'événement historique. Il appelle cela la technique « d’après-coup ». Dessiner de mémoire les icônes du photojournalisme (2). Un exemple: la photographie de Joseph Rosenthal en février 45 "Raising the flag on Iwo Jima"; (AP) lors de la capitulation de l’Allemagne. L’histoire de cette photo (qui a gagné le prix Pulitzer) a été « refaite » pour remédier au déficit d’élévation et d’appropriation de cette partie de l’histoire par les Américains. Pour rendre à l’événement sa forme monumentale, il fallait donc une image monument. Joseph Rosenthal à fait poser les cinq mêmes hommes, à fait agrandir le manche du drapeau et a pris la photo d’un peu plus loin pour changer le cadre trop rapproché voire étriqué de la première photo. Il a réparé, par l’acte de reconstituer, l’importance de l’instant et a magnifié la photo du militaire (qui avait pris la première photo).
Cette photo a servi de modèle pour la sculpture qui se trouve devant la Maison Blanche à Washington. La problématique d’une photo reconstituée en trois dimensions est « qu’avait-il de l’autre côté » ?

1/professeur d’histoire de l’art, université du Québec à Montréal, sujet : Mal d’actualité.
2/ plusieurs œuvres ont pour base une icône du photojournalisme en traduction plastique.

2. Le jeudi 9 février 2006, 02:05 par Un étudiant

J'ai assisté à la conférence et j'ai pu constaté que la langue de bois était de rigueur.

Dans le souci de ne pas déranger la tranquilité du cercle restreint d'intellectuel présent ce jour là, on a oublié de dire que Luc Delahaye est une imposture intellectuelle et artistique, que les photos qui ont inspiré a Mr Convert sa sculpture en cire sont considérée par Mr Poivert comme la décadence même du photo journalisme. ETC...

Une journée relativement faible en surprises, où on a vu se succéder des intervenants souvent mous, pédants et plus soucieux de leur réputation que de la qualité de cette journée d'étude.

Pour la suite, espérons trouver un peu d'animosité, de débat et de vitalité autour des vrais enjeux de la photographie, bien éloignés de ce photo journalisme d'outre-tombe.

3. Le samedi 11 février 2006, 20:25 par Un autre étudiant

L'art contemporain parisien est un théâtre d'ombres policées…
Merci à mon collègue d'avoir si sainement réagi aux impostures du jour.
J'ai aussi assisté à la journée, j'y ai vu les mêmes choses et suis ressorti aussi frustré. Espérons que la Maison Rouge saura rectifier le tir!