Marina Abramovic, IRRESISTIBLE

Marina ABRAMOVIC, Vittoria, Photographie couleur, 125 x 125 cm, Ed. 1/5 + 2 EA, 1997, courtesy Serge Le Borgne.

Préliminaire de l'exposition "Marina Abramovic" à venir au MOMA en 2010 ? Ou bien avant-goût de l'Institut des Arts de la Performance qui devrait ouvrir ses portes dans l'Hudson en 2012 ? La galerie Serge Le Borgne propose une exposition biographique sur une icône du Body Art. Mais il ne faut pas s'attendre à voir de performances en ces lieux. Seuls les nombreux témoignages photographiques des actions de Marina Abramovic, ainsi qu'une vidéo de 2005, l'Oignon, sont visibles.

Le mouvement de fusion entre l'art et la vie propre aux années 1970 semblait avoir contaminé le spectateur au point que l'émotion ressentie pendant l'action constituait un instant unique, impossible à restituer de façon différée. Lors d'un entretien avec Heidi Grundmann à Vienne, en 1978, Marina Abramovic insistait déjà sur "l'intensité" du moment opportun de l'action dont aucune forme de témoignage ne pouvait rendre compte après coup.

Et pourtant, force est de reconnaître aujourd'hui l'impact émotionnel et la compassion que de telles images inspirent. S'emparant du kairos, l'appareil photographique en présente une version remixée, en ponctuant les étapes de la vie de l'artiste comme un parcours du combattant où le corps devient surface d'inscription et de langage.

Depuis 1977, les duels de Marina Abramovic et Ulay s'écrivent comme des partitions. Leur dimension théâtrale est à l'échelle des risques physiques encourus, hors limite. Dés ses premières performances, Marina Abramovic parvient à incarner physiquement des métaphores universelles. Dans "Breathing in breathing out, with Ulay"(1977) une seule inspiration d'air s'épuise progressivement au contact du bouche à bouche. Le caractère asphyxiant de la relation ressurgit dans "Rest energy" (1980) : transformé en Cupidon juge et partie, Ulay oriente une flèche en direction du coeur de sa partenaire alors qu'ils bandent un arc par le seul poids de leur corps, menaçant de troubler l'équilibre instauré.

L'art de Marina Abramovic se construit autour de grands antagonismes. Pour elle, la souffrance est vecteur de renouveau. La chair évoque le spirituel. La "performance" devient "accomplissement". Vécues comme des rites, les actions prennent un sens thérapeutique. Plus que l'épreuve physique, Marina Abramovic en retient la portée cathartique et la forme de soulagement intime et collectif qu'elles suscitent. "Mon art est très optimiste" affirme-telle dans un entretien publié sous la houlette de Virginie Luc, in "Art à mort".

"Ceci n'est pas mon corps" : tel semble être le message délivré par ces performances empruntes de citations et de références hétéroclites. Eprouvant chair et âme aux aléas du souvenir, Marina Abramovic convoque les chants populaires de son enfance ("Balkan Baroque II", 1997) en nettoyant 1500 os de boeuf frais devant les portraits de ses parents. La même année, elle s'empare du registre formel des films italiens des années 1950, entrant dans la peau d'une autre (Vittoria). Nue sous une armure, elle s'enferme dans une cage de verre à l'invitation de Jan Fabre en 2006 afin d'incarner respectivement les allégories du sacrifice et du pardon. Dans "Me and Me" (2008) Marina Abramovic fait écho à "Coppélia", en utilisant une marionnette à son effigie comme pour dire que "Je est un autre". Elle soulève ainsi le caractère ambivalent de la personnalité de l'artiste.

Véritable "work in progress", sa pièce "The Biography" se perpétue alors selon le mot d'ordre de 1976 : "No rehearsal, no repetition, no predicted end".

Marina Abramovic, "Irresistible", du 10 février au 30 avril 2009, à la galerie Serge Le Borgne, 108, Rue Vieille du Temple, Paris 3ème.