L'argent de l'image moderne

La question des sources de financement de la modernité, en dehors de la sphère publique et institutionnelle, a été peu abordée dans le domaine des arts et de la culture, moins encore que dans celui des sciences et de l’industrie. Dans la relation entre argent et création artistique, quel rôle ont joué les fonds privés, qu’ils soient issus du mécénat, du monde financier ou de la fortune personnelle descréateurs ? De ce point de vue, il a semblé particulièrement pertinent d’interroger l’image moderne et plus précisément la photographie, depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours, pour comprendre les conditions de développement de la création. Depuis son invention au XIXe siècle, la photographie a évolué dans un environnement capitalistique. Dans quelle mesure les moyens privés ont-ils été mis au service des innovations techniques et de la production artistique des photographes ? Devenue un vecteur majeur de l'information et du divertissement, la photographie joue un rôle de plus en plus central dans l'économie générale au XXe siècle. Comment circule désormais l'argent dans cette économie de l'image ? L’image technique par sa reproductibilité, sa diffusion semble se confondre avec la substance même de l’économie : la visée historique serait ici celle d’une histoire culturelle et économique de l’image. Cette journée d’étude se propose d’analyser les relations qu’entretient le « couple économique » formé par l’image et l’argent, à l’échelle de différents pays européens, dans une perspective transhistorique.

Colloque 13 Novembre 2008 Institut national d’histoire de l’art – Paris Salle VASARI – 1er étage

Les élites économiques européennes et la création photographique

Université Paris 1 – CIRHAC /Institut européen de la mémoire économique et financière

9h15 Accueil des participants

9h30 Introduction Raymond Dartevelle (IMEF et Paris 10)/Michel Poivert (Paris 1)

10h00 Paul-Louis Roubert (Université Paris 8), Une photographie contre-révolutionnaire: le calotype français des années 1840-1850.

Le développement du calotype en France à la fin des années 1840 s'appuie sur l'idée d'une pratique alternative de la photographie contre l'industrie photographique symbolisée alors par le daguerréotype. Se créer alors autour de cette technique un cénacle qui tente de rapprocher l'image argentique d'une culture aristocratique en défendant une pratique plus noble de la photographie. Une noblesse alimentée autant par la qualité des opérateurs que par leurs prétentions artistiques.



10h30 Marianne Le Galliard (Université Paris1/Fondation de France), Le cas Lartigue : un amateur de la haute bourgeoisie.



La photographie de Lartigue se développe au début du XXème siècle au sein d’une famille d’ingénieurs et entrepreneurs en télécommunication (téléphone) et transport (chemins de fer). Depuis un demi-siècle, cette longue lignée d’inventeurs se passionne pour les nouvelles technologies en photographie, cinéma, aéronautique ou encore la presse. Le milieu de la haute bourgeoisie, auquel appartient Lartigue, est également féru de spectacle, tel que le théâtre, les actualités et le sport. Il sera ici question de montrer les liens entre les premiers instantanés de Lartigue, montrant des sujets en mouvement et leur contexte, celui d’une famille captiveé par le spectacle de la vitesse. Le cas Lartigue : un amateur de la haute bourgeoisie.




11h00 Anaïs Feyeux (Paris1 – Marne-la-Vallée), Le rôle d'Agfa dans la constitution de structures photographiques en Allemagne de l'Ouest après 1945

Au sortir de la guerre, l'industrie photographique est dans une position difficile. Les grands groupes ont largement servi le régime national-socialiste et doivent après-guerre opérer un tour de force idéologique à l'échelle nationale et mondiale. De plus, la clientèle amateur sur laquelle reposaient leurs santés économiques et toute la pratique photographique durant le régime nazi, voit ses structures étatiques tomber en désuétude. Agfa le plus grand groupe allemand, va alors après 1945 adopter une posture qui renouvelle complètement son image. Sous la houlette de Bruno Uhl, il devient le grand mécène du champ photographique en Allemagne de l'Ouest et finance autant les écoles photographiques que la photokina de Cologne, célèbre foire annuelle de l'industrie photographique accompagnée de grandes expositions thématiques. Pourquoi l'industrie tient-elle à devenir le point névralgique et nécessaire autour duquel s'organise le nouveau champ photographique ? En quoi cette volonté est-elle liée aux nouveaux enjeux qui émergent à l'époque ?

11h30 Julie Jones (Université Paris 1), L'alliance entre art et commerce aux Etats-Unis dans les années 1930-1950 : l'exemple du mécènat de Walter Paepcke (Container Corporation of America)

Industriel américain issu d'une famille d'origine allemande, Walter Paepcke (1896-1960) s'impose dès les années 1930 en tant que mécène de la culture et de l'art moderne aux Etats-Unis. A la tête de la plus importante compagnie de packaging de l'entre-deux guerres, la Container Corporation of America (C.C.A.), il engage Egbert Jacobson au poste de directeur artistique, qui passe de nombreuses commandes publicitaires à des artistes américains et européens émigrés tels que W. de Kooning, A.M. Cassandre, F. Léger, Man Ray, G. Kepes, H.Bayer ou encore H.Matter. Ces derniers en particulier se démarqueront par un usage régulier et novateur de la photographie dans leur productions. En 1939, Paepcke participe au sauvetage financier du New Bauhaus, dirigé par L. Moholy-Nagy. Son soutien lors des années suivantes, par l'apport de fonds et la promotion de l'école auprès de la Fondation Rockefeller notamment, permettent au Light and Photography Workshop, dirigé par G. Kepes, de bénéficier de subventions nécessaires à son fonctionnement. En 1950, Paepcke fonde l'Aspen Institute of Humanistic Studies, où Ferenc Berko est chargé d'organiser l'année suivante l'Aspen Photography Conference, à l'origine de la création du journal Aperture.

12h00 : Discussion

12h30 : Pause déjeuner

14h30 Giuliano Sergio (Université La Sapienza/Chambre du Commerce, Rome) La chambre de Commerce pour une nouvelle image du territoire : la Nouvelle Foire de Rome



Les premières hypothèses d’une mission photographique organisée par la Chambre de Commerce de Roma sont nées avec le projet de construire une histoire économique de la ville de Rome à travers les images. Les difficultés pour répertorier les photographies du passé montrent l’importance de réaliser une archive de photographies contemporaines afin de rendre compte des changements socio-économiques d’une ville telle que Rome. Cette exigence a porté la Chambre de Commerce à promouvoir des campagnes photographiques et vidéo en s’adressant à de jeunes artistes dans le but de témoigner les changements urbains actuels. Cette intervention mettra en avant les travaux photographiques et vidéos de Francesca Lazzarini et Lorenzo Casali, résultats du premier de ces projets qui a documenté la réalisation de la nouvelle Foire de Rome au sein d’un territoire périphérique de la Capitale, caractérisé par une complexité tant d’un point de vue sociale, environnementale qu’archéologique

15h00 Raphaële Bertho (Université de Dresde/ École Pratique des Hautes Études), « EAST », des archives à la collection

Entre 1992 et 2000, l’entreprise allemande VNG (groupe de gaz européen) passe commandes à de grands noms de la photographie issus principalement de l’école de Leipzig afin de documenter les transformations du territoire de l'ex-RDA peu après la chute du mur. "Stand Land Ost" ou "Les archives de la vérité", se situe entre volonté de témoignage historique et constitution d'une collection, cette commande semble paradigmatique des problématiques de la photographie contemporaine. Au fil du projet, le document photographique devient oeuvre d'art, perdant sa valeur d'usage aux yeux du commanditaire pour prendre une valeur économique.

15h30 Pause

16h00 Alexander Streitberger (Université catholique de Louvain) « Ultra-réalisme » et détournement – la photographie dans l’œuvre de Hans Haacke et la question du mécénat

Depuis les années 1970, Hans Haacke a réalisé de nombreuses œuvres pour dénoncer les connivences entre les milieux artistiques, politiques et économiques. Ainsi, le chocolatier Peter Ludwig et le joaillier et horloger Cartier sont les cibles de quelques-unes de ses œuvres les plus radicales. Partant des œuvres réalisées sur ces deux mécènes, il sera question du rôle et de la fonction de la photographie entre « ultra-réalisme » (Bourdieu) et détournement dans l’exploration rigoureuse que l’artiste mène sur le lien existant entre mécénat et économie.

16h30 Michel Poivert(Université Paris1) Le mécénat et la photographie contemporaine en France : le cas de la banque Neuflize/OBC

En 2007, la banque Neuflize/OBC a fêté les 10 ans de sa collection consacrée à la photographie contemporaine. La présentation de cette collection permet d’observer l’évolution d’une politique de mécénat très spécialisée, en montrant à travers le rôle de ses acteurs un engagement pour la création contemporaine. Mais l’activité de la banque est en fait celle d’une fondation d’entreprise structurée autour de plusieurs missions qui tentent de combiner le soutien aux institutions, à la recherche ou bien encore à l’édition. Premier bilan décennal donc dans un univers de forte concurrence entre mécènes pour un secteur de la création particulièrement prisé aujourd’hui.

17h30 : Discussion - Clôture de la journée d’étude, cocktail à l’Inha.

Illustration : Nadar, la main du banquier étude chirographique (lumière électrique), musée d'Orsay, DR.