Patrimoine photographique et recherche en France: nouvelle alliance?

C’est peu de dire que l’on manque aujourd’hui d’une politique en matière de photographie. Dans ce contexte de désengagement de l’État, aucun effet d’annonce ne suscitera désormais plus l’intérêt de la communauté culturelle. C’est ce que semble avoir compris l’actuel ministère de la culture en travaillant discrètement à la métamorphose de la médiathèque du patrimoine. Contre toute attente, c’est peut -être dans ce contexte si défavorable que le projet le plus ambitieux est aujourd’hui discuté. Il importait d’en rendre compte ici, sans contrevenir à la confidentialité des travaux du Conseil d’orientation scientifique et culturel réuni depuis le 1er février et présidé par Jean Mesqui.

Alors de quoi s’agit-il ? Sommée de déménager en raison de la vente imminente des Hôtels de Vigny et Croisilles (au cœur du quartier du Marais à Paris), la médiathèque du patrimoine - dépendante de la Direction de l’Architecture et du Patrimoine- qui conserve parmi ses fonds de nombreux ensembles d’images patrimoniales (principalement sanctuarisés au fort de Saint-Cyr) et qui de surcroît a hérité de donations importantes (Kertesz, Corbeau, Colomb…) lors de la dissolution de Patrimoine photographique, la médiathèque donc a cherché un nouveau lieu. C’est la ville de Charenton-le-Pont qui a répondu le plus favorablement à ce projet en proposant l’ancien site de l’école d’architecture Val de Seine, à quelques minutes à pieds du métro Liberté. Vaste (8000 m2), élégant (ancien séminaire), accessible, susceptible d’aménagement rapide en terme de conservation et d’accueil, le lieu présente des avantages indéniables. Certes, le Fort de Saint-Cyr risque de continuer d’apparaître comme un sanctuaire lointain, mais ce nouveau lieu aura les moyens physiques d’accueillir des ensembles conséquents afin de les traiter et de les valoriser.

La séance du 27 mars a été entièrement consacrée à la question photographique. Deux rapports ont été prononcés, celui de Mme Françoise Denoyelle (professeur des universités, École Louis Lumière) et celui de M. Verner (Professeur des universités, Paris VII, conseiller pour le patrimoine cinématographique à l’Institut national du patrimoine). J’avais pour ma part adressé au Conseil une note sur laquelle je suis revenu en séance et qui développait certaines remarques prononcées notamment lors de la séance de travail de Charenton-le-Pont en février dernier. Les points de vue convergent sur des aspects essentiels et, s’il faut ici n’en retenir qu’un, c’est celui d’une articulation entre la conservation et la recherche. Dès le premier rapport sur la photographie dans cette nouvelle configuration (rapport Roger Barrié, juillet 2006), cet aspect était noté. Il faut y insister encore : seule une réflexion partagée entre conservateur et chercheur permettra de traiter les fonds photographiques. En raison du caractère massif des ensembles d’images et de la nécessité déontologique d’en préserver l’intégrité, seule une politique de recherche peut donner un sens au traitement des images.

L’idée qui semble faire consensus est bien celle de prévoir, grâce à un comité scientifique, sur des plans pluriannuels, l’étude de telle ou telle partie des fonds en raison de leur actualité scientifique et culturelle. Ces priorités ne signifient en rien la relégation de telle autre partie des fonds, mais affirmation d’une logique de traitement, de la conservation à la valorisation, ce qui inclut la numérisation et la commercialisation. L’expérience de la Société française de photographie, à son échelle, est intéressante sur ce point. L’exposition Léon Gimpel, actuellement programmée en partenariat avec le musée d’Orsay, est l’étape ultime d’un long processus – près de dix ans – qui a vu réalisés l’inventaire, le reconditionnement, la restauration du fonds de plaque de verre de Gimpel, la recherche de partenaires institutionnels et privés (Fondation Neuflize Vie) ''parallèlement" à son étude (les travaux de Thierry Gervais et Nathalie Boulouch principalement). Ce qui a permis d’aboutir à une valorisation tournée vers un public large (exposition et édition). Inutile de préciser qu’avec des moyens financiers plus importants, un tel processus aurait été plus rapide (environ 5 années, le temps d’une thèse universitaire).

Tout cela semble de bon sens, et répondre à une situation où le peu de moyens oblige à des approches pragmatiques mais sans baisser la garde sur l’excellence. Il n’en a pas moins fallu rappeler certains principes auprès de nos collègues archivistes : la profonde transformation du statut culturel de la photographie depuis 25 ans oblige à considérer l’archive photographique autrement que comme une simple documentation, même si cette valeur d’usage doit être reconnue et préservée. Première décision concrète, un conservateur chargé du département photographie de la médiathèque a été nommé en la personne de Marie Robert. Souhaitons lui dès à présent le courage nécessaire pour cette aventure qui se présente comme une des premières actions tangibles de l’État en matière de politique photographique depuis plusieurs années.

Illustration: Ministère de la culture, 27 mars 2008, salle Colette, avant la réunion du conseil d'orientation scientifique et culturelle, photo. M. Poivert