Œ La Revue de l’Œil Public

image En 1995 est fondée l’agence photographique L’Œil Public, devenue depuis lors emblématique de nouveaux collectifs de reporters exigeant à la fois une entière liberté d’expression et une reconnaissance de leur engagement politique et social. L’année 2007 a vu naître le premier numéro de leur revue annuelle Œ La Revue de l’Œil Public, malheureusement trop peu diffusée. Le second numéro, à paraître en juin 2008, devrait toutefois connaître une meilleure publicité. Il n’est donc pas trop tard pour présenter cette première édition dont la direction éditoriale est assurée par Guillaume Herbaut, membre fondateur du collectif.

D’un format respectable (33 x 24 cm), comptant presque 80 pages couleur, imprimée sur un papier épais où l’encre s’imbibe généreusement, l’objet lui-même assume une présence forte. Le jeu des pages imprimées en monochrome crée des respirations et le choix tout entier de la maquette traduit assez bien l’esprit de l’agence: des images liées à l’actualité mais éprise d’un désir de mise en forme que l’on attend plutôt d’une revue d’art. Le tout s’émancipe d’un simple outil de communication de l’agence pour tenter autre chose. Si les images trouvent un espace plus qu’honorable dans ce format, leur impression quasi systématique en double page produit l’effet classique du sacrifice de la pliure, la revue étant relativement rigide par son épaisseur et sa reliure, l’effet journal qui permet de mettre l’image à plat ne peut être rendu.

Place est également faite au texte avec l’idée de commander des nouvelles à des auteurs (bilingue français-anglais). Ainsi, sous le thème "France ô ma France", avec pour sous-titre: "Regarder la France – une réalité qui force l’interrogation, le doute: y a t il des signes, des images que nous ne savons pas lire?", on découvre une succession d’images dont le nom de l’auteur n’est pas donné (au nom du collectif cela va sans dire): pas de narration mais des évocations censées traduire une certaine perception d’un "mal" social et politique français. Paysage des périphéries, architectures des bâtiments collectifs, scènes de police, de manifestations, habitats précaires, monde du travail résumé à l’objet symbolique des fiches de présence, prière islamique dans la rue, corps déhanchée dans un club parisien… Au final, une certaine image de la jeunesse avec pour traduction stylistique le décalage.

L’événement est toujours à côté, nous ne sommes ni trop près ni trop loin, un peu de biais, ce qui n’empêche aucunement de toucher la cible. La recherche esthétique est affirmée, soit par le traditionnel noir et blanc expressionniste, soit surtout par la couleur, et la traduction d’un sujet journalistique (banlieue, chômage, etc.) en un genre iconographique (paysage, portrait, etc.). C’est de ce glissement dont il est question dans l’esthétique journalistique de L’Œil Public, ce que j’ai pu appeler ailleurs l’esthétisation du photojournalisme et sa transformation en objet culturel. Certes, on ne nous donne pas à voir ici le "grand style" des icônes qui font les beaux jours des ventes publiques d’images de reportage, on y voit plus d’expérimentations et donc de risques. Le principal intérêt de la revue est bien de regrouper les images autour d’un thème, presque à la manière d’un essai poétique, et de tenter de traduire un regard critique tout au long du numéro. La résonance de cette iconographie ainsi traitée avec l’époque est très forte, notre culture de l’ellipse visuelle (notamment née dans Libé) se marie ainsi avec la respectabilité de la photographie contemporaine indexée sur l’art contemporain, le tout produit un style encore difficile à caractériser. En revanche, on a la conviction devant de tels travaux, que l’image d’information ne peut plus être jugée à l’aune des seuls critères du journalisme. Ces images, encore hésitantes dans leur nature même, déjà réclament de nouvelles interprétations.