Quatre jours à Beyrouth

image En septembre 2006, au sortir de la guerre, Pascal Colrat part photographier le Liban. De ce court voyage, il rapporte plus de 2000 photographies, dont il publie une sélection dans Quatre jours à Beyrouth, cent vingt-cinq images imprimées pour la majeure partie en pleine page. La quasi-absence de légende – une douzaine – et les deux courts textes liminaires appuient la volonté de faire un livre de photographies et non un ouvrage politique. Les textes restent silencieux sur le conflit. L’introduction de Michèle Champenois – rédactrice en chef du Monde 2 – inscrit ce travail dans la démarche artistique de Colrat, quand la préface de Valérie Baran, directrice du théâtre Le Tarmac de la Villette, offre un récit des circonstances du voyage et des prises de vues. Ce compte-rendu révèle les limites d’un travail d’artiste quelques semaines après la mise en place d’un couvre-feu – la difficulté de prendre des photographies autant que l’attente de certains – comme le Hezbollah – à retranscrire des images stéréotypées ou partisanes.

Ce livre ne tient donc ni de l’investigation, ni du travail de photoreporter. Pourtant, les images sont montrées dans la simplicité de leur difficile obtention. Colrat ne les recadre pas, ne les détoure pas – comme il avait procédé pour Signes de la Biélorussie en 2004 – et n’utilise jamais la typographie alliée à l’image. S’éloignant de sa pratique courante issue du graphisme qui associe image centrale et signifiant textuel, Pascal Colrat dépouille la mise en forme et ne conserve de ces travaux précédents que l’utilisation du diptyque. La charge dénonciatrice des images permise précédemment par la circulation entre texte et image, s’établit ici dans le temps plus long du parcours du livre et dépasse le seul effet "coup de poing" que contient la force d’attaque d’une double page. Les photographies n’ont d’ailleurs pas une iconographie expressive. Colrat montre des décombres, ruines ou reliquats de cette guerre éclair, indique les vestiges d’une présence humaine, mais il saisit aussi des portraits qui ne disent rien au premier abord de la situation. Ni partisans, ni vindicatifs, ils accablent l’absurdité de la guerre et révèlent que les vainqueurs qui s’exposent au-dessus des ruines de Beyrouth – par les affiches du Hezbollah ou les survivances des visuels d’entreprises occidentales – sont un leurre. Cette émergence de la communication au cœur du désastre appuie l’insanité d’une prégnance de l’utopie sur le réel. Pascal Colrat délaisse le recours au mot et au graphisme pour affirmer plus encore la prédominance et la folie des slogans doctrinaires. S’il s’éloigne par ce livre de l’affiche, le visuel urbain n’en reste pas moins constitutif de l’image.

Publié quinze ans après Beyrouth Centre Ville, Quatre jours à Beyrouth s’en démarque résolument. En 1992, la préface de Dominique Eddé reposait sur une conceptualisation de la ruine qui introduisait logiquement les travaux des cinq photographes venus témoigner de la dévastation et proposer une mémoire vive en écho au propos d’Eddé sur la ville de Beyrouth: «Je crains le jour où nous la verrons s’écrouler une seconde fois». La photographie voulait alors prévenir la répétition. Colrat arrive après la récidive. Il montre l’habitude de la guerre qui fait de la vie dans les décombres non pas une anomalie, mais un ordinaire. Les personnes n’errent plus, elles vivent dans les ruines. Après quinze ans, le regard sur Beyrouth diffère en cela qu’il intervient au delà des espérances et des rêves, quand ne reste plus que l’absurdité du réel. Chez Colrat, l’urgence de la production, condition du travail de graphiste, se conjugue à celle de signifier la banalisation de la guerre, le danger d’une telle accoutumance. Pascal Colrat témoigne de ce basculement. L’artiste participe dans ce livre au geste citoyen.

Pascal Colrat, Quatre jours à Beyrouth, Paris, Editions Textuel, 2007, préface de Michèle Champenois, introduction de Valérie Larban, 128 pages, 125 photos couleur, 45 euros, à paraître le 15 novembre 2007.

Rappel: Le 5 décembre 2007 à 18h, Pascal Colrat sera l'invité des conférences de la SFP pour une intervention intitulée "De l'image photographique aux signes publics" à la Maison Européenne de la Photographie.

Commentaires

1. Le lundi 3 décembre 2007, 09:40 par Niko

Le travail de Pascal Colrat est particulièrement bien travaillé tout comme l'était son précédent ouvrage sur le centre ville de Beyrouth. Mais la banalisation des images de désastre, et surtout l'apposition du nom Liban à ces photos ne contribue-t-elle pas à créer une association réductrice entre un pays aux multiples richesses et un état de fait régional qui s'impose à la réalité libanaise ?

2. Le vendredi 14 décembre 2007, 22:55 par Infos RSS

Hello, cette précisionn est pas forcément utile ;) : 'l'artiste participe dans ce livre au geste citoyen'v... en tout cas, très bon billt ! @+