Valérie Belin: de l’art sérieux

image A un peu plus de quarante ans, Valérie Belin connaît une rétrospective itinérante de son œuvre (Amsterdam, Lausanne, Paris) accompagnée d’un imposant catalogue publié chez l’éditeur allemand Steidl. L’ouvrage, dont la maquette est signée Piet Gerards et Maud van Rossum est d’une impressionnante créativité au regard de la rigueur qu’imposent les images de Valérie Belin.

Les raisons du succès de l’artiste sont sans mystère. Elles résident dans le sérieux avec lequel les travaux sont menés sur le plan du processus créatif, mais aussi sur l’effort constant que l’artiste a produit pour établir des liens de confiance avec des acteurs du marché sur le plan international, avec la critique et avec l’institution publique. Ce parcours sans faute est exemplaire en ce qu’il montre qu’une œuvre tout entière basée sur le médium photographique n’est pas prisonnière d’un cercle (l’artiste évolue sur le marché de l’art contemporain) et qu’elle a trouvé ainsi les conditions de son épanouissement. C’est donc à nouveau l’occasion de regarder attentivement cette œuvre. Dans l’enchaînement produit par l’ouvrage, les travaux – tous pensé sur un mode sériel – les thématiques et les traitements apparaissent dans un curieux mélange de diversité iconographique (des robes et des robots, des verreries et des voitures, des transsexuels ou des masques) et très vite d’homogénéité thématique (dialectique du vivant et du mort, transformisme, ritualisation, animalité, etc.) puis d’uniformisation des traitements: vue rapprochée et précise, modèles préparés, fond blanc, du noir et blanc (jusque très récemment), grand format… Bref, des sculptures ou presque, une verticalité toujours appuyée, une matière granulométrique du tirage toujours visible : une œuvre "tenue", sans nul doute, à certains égards sévère.

Le travail de Valérie Belin cultive une relation au monde très distanciée, mais paradoxalement en prise directe avec ce que l’on pourrait appeler l’anthropologie sociale. Certes, tout objet, tout modèle semble chez elle tellement décontextualisés qu’il devient chose ou monument, séparé de son affect par une chirurgie visuelle. Mais dans le même temps, la simple considération des "sujets" traités nous met en prise sur une réalité sociale: robes de mariée, culturisme, stéréotypes de la beauté des visages, viandes (et donc nourriture), questionnement sur l’ambivalence des genres, accidents automobiles, objets informatiques, modèles de beauté et mimétisme, etc. Toutes ces choses, tous ces gens, ne sont pas des prétextes formels pour l’artiste, ils sont des expériences. La méthode de Valérie Belin n’apparaît pas dans le résultat formel des images, mais elle est pourtant sous-jacente comme la garantie que ce que nous voyons désormais n’est pas une simple enveloppe; cette méthode est donc celle d’une immersion complète dans les sujets traités. Ainsi, les enquêtes dans les casses de voitures et les contraintes techniques de la manipulation des carcasses, les rencontres au long cours avec les associations de transsexuels, les voyages et les appels lancés aux sosies, l’accompagnement sur des mois des culturistes dans leurs vie et leurs compétitions, etc. Il est donc important de le souligner encore: les œuvres de Valérie Belin sont pleines d’une exigence du vécu qui ne revendique pas la valeur de l’expérience. J’avais déjà tenté dans le catalogue de la première exposition rétrospective de Valérie Belin à Salamanque (2002) de qualifier un ressort de son esthétique en faisant simplement remarquer que ces sujets étaient fortement expressionnistes (corps musculeux, tôles froissées, expressions simiesques, etc.) mais totalement figés voire inhibés par le traitement formel. Ainsi, la force reste toujours contenue, visible mais pétrifiée. Si l’on résume les choses, on comprend mieux comment cette œuvre libère autant d’énergie: un traitement neutre de sujets allégoriques (la force, le mal, l’organique, la technologie, la ruine, l’animalité, etc.), une distanciation au cœur de thématiques sociales (le genre, les races, le stéréotype, la beauté, etc.), une expérience dissimulée des sujets explorés.

Les grandes questions politiques ont ici trouvé une formalisation radicale et dialectique. De là à faire de Valérie Belin une artiste « brechtienne » perdue dans une époque où la prime revient à l’entertainment il n’y aurait qu’un pas. Le succès de cette œuvre formerait alors un manifeste de l’art sérieux.

L’exposition sera présentée à Paris du 9 avril au 8 juin 2008 à la Maison européenne de la photographie.

  • Valérie Belin, Steidl, Göttingen, 2007, catalogue de l’exposition du musée Huis Marseille Museum for Photography (Amsterdam), Musée de l’Elysée (Lausanne), Maison Européenne de la photographie (Paris), introduction Els Barents, William A. Ewing, Jean-Luc Monterosso, texte de Régis Durand, entretien avec Nathalie Herschdorfer, biblio, bio ., 312 p.

Commentaires

1. Le lundi 26 novembre 2007, 11:22 par la dame

J'avais beaucoup apprécié aussi ce travail plus ancien (était-ce pour le Musée des Beaux-Arts et de la dentelle à Calais? www.valeriebelin.com/work... )
qui comportait déjà les aspects de distanciation dont vous parlez. Cette série suscitait des réflexions sur le costume, le linceul, la présence/absence du corps. Le format, mais aussi le parti pris esthétique rigoureux, convoquaient chez le spectateur tout un réseau de références iconographiques et entamaient un dialogue entre différents aspects de l'objet (parure, patrimoine, contenant/contenu, art/artisanat, etc.)
Dans la matière-même de l'expérimentation, en effet, se jouait la définition d'une nature plurielle du vêtement. Mais aussi, paradoxalement, son aura sacrée côtoyait sa propre démystification.